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Portage salarial: l'accord mis à mal par le Conseil constitutionnel

Publié le 16/04/2014

Le Conseil constitutionnel a rendu une décision qui semble fragiliser l’accord sur le portage salarial, signé par la CFDT en 2010. Cependant, en pratique, cette décision risque d’avoir des conséquences limitées et non immédiates sur le statut des salariés portés. Décision n° 2014-388 QPC du 11.04.14.

  • Une relation triangulaire à encadrer 

L'article L.1251-64 du Code du travail définit le portage salarial de la façon suivante : il s’agit d’"un ensemble de relations contractuelles organisées entre une entreprise de portage, une personne portée et des entreprises clientes comportant pour la personne portée le régime du salariat et la rémunération de sa prestation chez le client par l'entreprise de portage".

En d’autres termes (plus lisibles), il s’agit d’une relation triangulaire entre

- un salarié porté (prestataire de service),

- une entreprise de portage salarial (qui emploie le salarié porté)

- et une entreprise cliente (pour le compte de laquelle est réalisée la prestation).

Le "porté" dispose du statut protecteur de salarié, malgré l'independance et l'autonomie dont il dispose dans la réalisation de son travail et le démarchage de sa clientèle.  

  • Une procédure longue et complexe

L'encadrement de l'activité de portage salarial est le fruit d'une procédure longue et complexe, amorcée dans la loi modernisation du marché du travail du 25 juin 2008.

- Cette loi prévoyait que l’activité de portage devait être organisée par voie d’accord collectif. Cependant, faute d’organisation professionnelle ad hoc et reconnue (auparavant cette activité était illégale, car constitutive d’un prêt de main d’œuvre illicite), la loi a renvoyé à la branche la plus proche (soit l’intérim) le soin d’orchestrer la négociation.

- Les partenaires sociaux ont donc entamé une négociation qui a duré 2 ans, pour aboutir à un accord du 2 juin 2010, signé par la CFDT et toutes les organisations syndicales, sauf FO (qui est à l’origine de ce recours).

- L’administration du travail a attendu près de 3 ans avant d’étendre cet accord (arrêté du 24 mai 2013).

- FO a finalement attaqué cet arrêté d'extension devant le Conseil d’Etat et a soulevé une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) à cette occasion. Elle a invoqué une « incompatibilité » entre la loi de 2008 (donnant mandat aux partenaires sociaux pour négocier l’accord portage) et la Constitution.

Le Conseil constitutionnel a en partie donné raison à FO en censurant le paragraphe III de l’article 8 de la loi du 25 juin 2008.

  • Arguments invoqués par FO

FO a notamment soulevé le fait qu’en confiant à l’intérim (et non au secteur du portage) le soin de négocier l’accord, le législateur a enfreint le principe constitutionnel de libre participation des travailleurs à la détermination de leurs conditions de travail.

Ce n’est finalement pas cet argument qui « a fait mouche », mais un autre motif, que le Conseil constitutionnel a soulevé seul : le fait que le législateur ne pouvait pas se dessaisir de son pouvoir législatif pour confier aux partenaires sociaux la mission d’organiser le portage salarial, sans fixer lui-même les principes essentiels de son régime juridique. 

Le cadre trop « flou » posé par la loi de 2008 aux partenaires sociaux a donc directement porté atteinte à la liberté d’entreprendre (principe constitutionnel).

Autrement dit, pour les juges constitutionnels, la loi a permis aux partenaires sociaux de réglementer, comme ils le souhaitent le portage salarial, sans qu’aucune borne ne leur ait été fixée.

Cette méconnaissance par le législateur de sa propre compétence affecte l’exercice de la liberté d’entreprendre ainsi que les droits collectifs des travailleurs (ex : l’accord portage restreint le champ du portage en le réservant aux cadres).

  • Conséquences de la décision ?

L'annulation de l'article de loi risque d'avoir un effet en cascade sur l’arrêté d’extension et l’accord portage salarial lui-même. Or, les entreprises du secteur ont déjà commencé à l’appliquer pour leurs portés (statuts, salaire minimum, assurance etc.).

Heureusement, les conséquences (s’il y en a) ne devraient pas être immédiates.

Le Conseil constitutionnel a aménagé une « période transitoire » au cours de laquelle le législateur est invité à « rectifier le tir ».

  • Le législateur, invité à agir

Jusqu’au 1er janvier 2015, l’article inconstitutionnel de la loi 2008 reste donc en vigueur (et l’accord portage ne pourra pas être mis en cause durant cette période sur ce motif), le temps pour le législateur d’exercer pleinement son pouvoir, et de prendre une loi, plus précise, pour encadrer le secteur du portage.

Le Gouvernement peut donc tout à fait reprendre le contenu de l’accord portage de 2010 dans un projet de loi, sans en changer une virgule, surtout vu le poids politique de cet accord : pour mémoire, seul FO n’est pas signataire coté organisations syndicales, et côté patronal, PRISME (Medef) est signataire et l'organisation patronale représentant les entreprises du secteur portage PEPS y a finalement adhéré.

 

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