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Peut-on « vapoter » sur le lieu de travail sans être mis à l’amende ?

Publié le 10/12/2014

Vapoter dans les lieux publics, et donc notamment sur le lieu de travail, ne contrevient pas à la loi pénale. Ainsi vient tout juste d’en décider la chambre criminelle de la Cour de cassation. Cela signifie-t-il que désormais le vapotage a, à coup sûr, droit de cité dans l’entreprise ? Pas si sûr… Cass. crim. 26.11.14, n° 14-81.888.

Le débat sur l’interdiction (ou non) du vapotage dans les lieux publics (et donc, potentiellement, dans les locaux de l’entreprise) est loin d’être clos ! L’arrêt que la chambre criminelle de la Cour de cassation vient de rendre pourrait d’ailleurs très bien être de nature à le relancer.

Mais avant de s’interroger sur le sens et la portée à donner à cette décision, une première question, toute bête, mérite d’être posée : Que signifie vapoter ?

  • Qu’est-ce que vapoter ?

Afin de répondre à cette interrogation, nous procéderons au croisement de deux types de données. Des données d’ordre scientifique d’abord, afin de mieux identifier, en tant que tel, l’objet cigarette électronique. Quels sont les produits en jeu et qu’en est-il de leur combustion ? Et en la matière, nous disposons d’un éclairage intéressant puisque, l’an dernier (le 28 mai 2013 très précisément) un document, élaboré par le professeur Dautzenberg et intitulé « rapport et avis d’expert sur la cigarette électronique », a très officiellement été remis à la ministre de la Santé. Et les conclusions auxquelles il arrivait semblaient, bel et bien, aller dans le sens d’une assimilation vapotage / tabagisme, en mettant ostensiblement l’accent sur le « risque réel » lié au vapotage passif. Le rapport précisait, en substance, que « la fumée de la cigarette électronique diffuse dans l’environnement un gaz contenant de la nicotine ainsi que d’autres particules fines ou ultrafines »(1).

Des données juridiques ensuite. Dans les textes, le concept de vapotage est, au sens littéral du terme, un illustre inconnu. Ce qui ne suffit pourtant pas à conclure au vide juridique puisque la loi Evin a, elle-même, opté pour une conception particulièrement large des « produits du tabac ». En son article 4, elle précise, en effet, que doivent être « considérés comme produits du tabac » non seulement « les produits destinés à être fumés, prisés, mâchés ou sucés, dès lors qu’ils sont même partiellement constitués de tabac » mais aussi « les produits destinés à être fumés même s’ils ne contiennent pas de tabac ».

Fort logiquement, le croisement de ces données avait conduit la ministre de la Santé à affirmer haut et fort dans les médias que « vapoter, c’est fumer » (2). En ce sens, les dispositions qui figurent à l’article L. 3511-7 du Code de la santé publique et qui précisent qu’ « il est interdit de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif, notamment scolaire, et dans les moyens de transport collectif » pouvaient très bien être considérées comme se suffisant à elles-mêmes.

  • La Cour de cassation relance le débat

Alors, fin du débat ? Pas vraiment, puisque c’est la chambre criminelle de la Cour de cassation est parvenue à une décision diamétralement opposée dans l’arrêt ici commenté. À l’origine de cette affaire, une banale histoire de vapotage au sein d’une gare SNCF. Une usager a été verbalisée pour ne pas avoir respecté l’interdiction de fumer dans les lieux publics… Elle ne faisait en fait que vapoter. S’estimant injustement sanctionnée, elle a saisi le juge de proximité d’une contestation. À raison puisque, à l’appui de deux principaux motifs, ce dernier lui a donné gain de cause.

Le premier motif tient à l’époque à laquelle la loi a été adoptée. En effet, le juge relève que, lorsque les textes réprimant pénalement le fait de fumer dans les lieux publics ont été adoptés, la cigarette électronique n’existait pas. En conséquence de quoi, le législateur n’avait pu matériellement se demander si le vapotage devait (ou non) être constitutif de l’infraction. Or, « les textes pénaux étant d’interprétation stricte », l’usager ne pouvait pas, de ce simple fait, être sanctionnée pour infraction à l’interdiction de fumer dans les lieux publics.

Le second motif tient à la nature même de l’objet cigarette électronique. Il précise que « la cigarette électronique ne saurait être assimilée à une cigarette traditionnelle et que le liquide, mélangé à l’air, est diffusé sous forme de vapeur ». La cigarette électronique ne produirait donc finalement que de la vapeur. Ce qui semble, pour le coup, prendre à contre-pied les conclusions du rapport qui avait été remis l’an dernier à la ministre de la santé.

Ces deux motifs sont, en quelque sorte, validés par la Cour de cassation puisque celle-ci rejette en bloc le pourvoi qui, en l’occurrence, avait été formé par le Parquet. Aussi, n’est-il désormais pas exclu que, dans les semaines ou dans les mois qui viennent, le Gouvernement se saisisse de la question du vapotage afin que la loi précise ses intentions quant à son éventuelle interdiction dans les lieux publics !

Mais quel que soit le trouble que cet arrêt sera susceptible de jeter, il serait pour le moins abusif de considérer que, depuis le 26 novembre, il est loisible à tout à chacun de vapoter comme bon lui semble sur son lieu de travail.

  • Rappel de l’obligation de sécurité de résultat

Il ne faut, en effet, pas perdre de vue que le vapotage passif est considéré par beaucoup comme aussi nocif que le tabagisme passif. Or, nous savons que l’article L. 4121-1 du Code du travail précise que les employeurs doivent prendre « les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des salariés ». Ce qui conduit la Cour de cassation à considérer que qu’ils sont tenus, vis-à-vis de leurs salariés, à une obligation de sécurité de résultat (3).

La mise à mal de cette obligation pourrait donc parfaitement être dénoncée par les salariés dès lors qu’ils se trouveraient exposés à cette forme nouvelle de tabagisme passif qu’est le vapotage passif. En ce sens, les employeurs sont parfaitement fondés, aujourd’hui comme hier, à interdire l’usage de la cigarette électronique sur le lieu de travail. C’est d’ailleurs ce à quoi avait incité, dès le mois de mars 2013, l’Institut national de recherche et sécurité (INRS) en recommandant aux entreprises de faire figurer au sein de leurs règlements intérieurs, des clauses proscrivant l’usage de la cigarette électronique sur le lieu de travail.


(1) Cf. « Rapport et avis d’experts sur la cigarette électronique ».

(2) Interview de Marisol Touraine sur France info, le 31.05.13.

(3) Cass. soc. 11.04.02, n° 00-16.535.