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Justice prud’homale : projet de loi Macron “amendé”

Publié le 28/01/2015

Depuis le début de la semaine, le projet de loi Macron est débattu au sein de l’hémicycle de l’Assemblée nationale. Après son passage en commission, le texte initial a connu de sensibles évolutions. Le travail de veille et d’alerte de la CFDT n’y est pas pour rien.

  • La partie justice prud'homale "amendée"

Les dispositions qui visent à réformer la justice prud’homale sont concentrées au sein d’un très imposant article du projet de loi Macron (l’article 83). Après que les partenaires sociaux ont été auditionnés, à plusieurs reprises, par le rapporteur du texte, cet article, à l’instar de tous les autres, a été soumis à l’examen d’une « commission spéciale » de l’Assemblée nationale. Suite à cela, il n’a certes pas connu d’inflexions révolutionnaires, mais il a cependant sensiblement évolué.

Les amendements retenus par la « commission spéciale » n’ont, en effet, pas tous été d’ordre purement rédactionnel. Loin s’en faut. Aussi n’est-il pas inutile de faire un petit bilan sur le texte tel qu’il sera soumis effectivement ouvert au débat dans l’hémicycle.

  • Sur les aspects procédure

- La plus notable des évolutions de texte s’est produite à propos des dispositions qui ouvrent la voie à un renvoi des dossiers directement du bureau de conciliation vers la formation de départage. Jusqu’alors, le projet de loi prévoyait que si l’une des parties demandait un tel renvoi, il devait lui être fait droit dès lors qu’au moins l’un des juges composant le bureau de conciliation en décidait ainsi.

Une telle disposition mettait doublement à mal le fonctionnement paritaire de la juridiction puisque :

- dès le stade de la conciliation, un collège pouvait imposer ses vues à un autre.

- un dossier pouvait être directement renvoyé du bureau de conciliation à la formation de départage, sans même passer par la case bureau de conciliation.

Le projet de loi maintient, certes, la possibilité d’un renvoi des dossiers directement du bureau de conciliation vers une formation de départage, mais il impose désormais, pour que les choses se passent ainsi, soit que les deux parties le demandent, soit que le bureau de conciliation (dans son intégralité) en décide ainsi.

Ce qui signifie clairement que, hors demande unanime des parties, les conseillers salariés auraient, par leur seule opposition, la possibilité de garder l’ensemble des dossiers n’ayant pu aboutir en conciliation dans le giron du paritarisme. Ce qui nous donne, pour le coup, un réel pouvoir pour ne pas donner corps à la remise en cause du paritarisme, induite par cette disposition.

- Une seconde évolution de texte mérite d’être signalée. Elle concerne les dispositions qui mettent en place la procédure dite du « circuit court » qui permet à un bureau de conciliation, avec l’accord des parties, de renvoyer un dossier (de licenciement ou de demande de résiliation judiciaire du contrat de travail) devant une formation restreinte du bureau de jugement (composée d’un conseiller salarié et d’un conseiller employeur) chargée de juger le dossier dans un délai de trois mois.

Jusqu’alors, le projet de loi prévoyait que cette formation restreinte puisse se déclarer incompétente et puisse, de ce seul fait, renvoyer le dossier devant une formation de départage. Désormais, cela n’est plus possible, le dossier ne pourrait être renvoyé devant la formation de départage que si les juges siégeant au sein de la formation restreinte du bureau de jugement ne parvenaient pas à dégager une solution.

- Une troisième et dernière évolution de texte doit, enfin, être précisée. Le projet de loi qui était, jusqu’alors, muet sur la mise en état aborde désormais la question. Pas de quoi s’enflammer pour autant puisque la façon dont la question est traitée ne peut franchement que laisser dubitatifs. Une disposition a, en effet, simplement ajouté au texte afin de préciser que « un ou deux conseillers rapporteurs peuvent être désignés pour que l’affaire soit mise en état d’être jugée » et qu’ « ils prescrivent » en conséquence « toutes mesures nécessaires à cet effet »Or, cela ne fait que confirmer l’état actuel du droit et ne satisfait nullement à notre revendication qui consistait à voir consacrer l’existence d’une mise en état digne de ce nom avec une période d’instruction et une date de clôture.

Notons, tout de même, que le projet de loi agrémente la période de mise en état d’une disposition intéressante qui contraindrait l’inspection du travail à communiquer aux conseillers rapporteurs chargés de la mise en état et qui leur en feraient la demande « les renseignements et documents relatifs au travail dissimulé, au marchandage ou au prêt illicite de main-d’œuvre dont ils disposent ».

  • Sur les aspects conciliation

Le texte est toujours aussi pauvre en la matière.

Une seule petite éclaircie dans le paysage, liée à la procédure participative (qui permet à deux parties à un litige de diligenter leurs avocats afin de tenter de trouver un accord sans directement passer devant un juge). Notre revendication d’exclusion, pour les contentieux du travail, de ce type de dispositif n’a pas été retenue, par contre, le projet de loi prévoit désormais expressément que l’échec de la procédure participative ne saurait dispenser d’un passage du dossier en bureau de conciliation dès lors que, par la suite, la juridiction prud’homale serait saisie.

Une façon de reconnaître que le bureau de conciliation pourrait parvenir à rapprocher des points de vue pourtant assez éloignés puisque la procédure participative, elle-même, n’aurait pas permis de parvenir à un accord.

  • Sur les aspects déontologie

Le texte apporte des atténuations sur deux points importants : le droit de réserve et l’interdiction de recourir aux grèves d’audience que le texte initial entendait faire peser sur les conseillers prud’hommes.

- Sur le premier point, le projet de loi ne reprend désormais plus à son compte l’expression « droit de réserve ». Il précise désormais, plus simplement, que « les conseillers prud’hommes s’abstiennent, notamment, de tout acte ou comportement public incompatible avec leurs fonctions ». L’idée est ici de faire en sorte que le conseiller prud’homme ne soit pas empêché d’exercer librement d’éventuelles activités syndicales hors du conseil.

- Sur le second point, le projet de loi relativise l’interdiction faite aux conseillers prud’hommes de recourir à des grèves d’audience. En effet, le texte précise désormais que cette interdiction ne vaut que « lorsque le renvoi de l’examen d’un dossier risquerait d’entraîner des conséquences irrémédiables ou manifestement excessives pour les droits d’une partie ». L’évolution est intéressante, mais on voit difficilement comment elle pourrait avoir une portée pratique car, généralement, les conseillers qui se mettent en grève d’audience ne se penchent pas sur les dossiers inscrits au rôle, afin de mesurer l’impact que serait susceptible d’avoir la grève d’audience.

  • Sur les aspects discipline

Trois évolutions sensibles méritent d’être notées :

- D’abord, les premiers présidents pourront, si nécessaire, rappeler les conseillers prud’hommes à leurs obligations sans pour autant mettre en branle une procédure disciplinaire. Cependant, il s’agira bien là d’un « rappel à l’ordre » sans conséquence et non d’un avertissement comme le texte initial le laissait, bien maladroitement, entendre ;

- Ensuite, le fait pour un conseiller prud’homme d’avoir accepté un mandat impératif ne sera plus sanctionné par une peine d’inéligibilité mais par une « interdiction d’exercer les fonctions de conseiller prud’homme pour une durée maximum de dix ans, fixée par le juge ». Ce qui permettra à ce dernier d’adapter l’ampleur de la sanction en fonction de la faute qui a été commise par le conseiller.

- Enfin, la future Commission nationale de discipline devra, dans sa composition, respecter la parité femmes / hommes. Ce que le texte initial n’avait pas songé à prévoir.

Ces évolutions marquent, pour certaines d'entre elles, la prise en compte de remarques que nous avions faites lors de nos différentes auditions. La CFDT espère encore obtenir des inflexions de texte plus significatives dans les débats parlementaires à venir. Aussi continue-t-elle à peser et, notamment, sur les points durs que sont le renvoi direct à la départition, le circuit court et l’ouverture à la médiation extérieure aux conseils.

 

 

 

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