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Egalité de traitement : différence justifiée pour un cadre dirigeant ?

Publié le 01/10/2014

Un cadre dirigeant est-il un cadre comme les autres? Non, la Cour de cassation considère comme justifiée, au regard du principe d'égalité de traitement, la différence de traitement résultant d’une convention collective qui accorde une indemnité de licenciement plus favorable aux cadres dirigeants par rapport aux autres cadres. Cass. Soc. 24.09.14, n° 13-15.074.

  • Les faits

Un salarié, embauché en 1981 par une association pour adultes et jeunes handicapés en tant que chef de service éducatif, s’est fait licencier en 2010. Ce dernier saisit le conseil de prud’hommes pour demander le versement de l’indemnité conventionnelle de licenciement prévue par la convention collective des établissements hospitaliers privés à but non lucratif du 31 octobre 1951. Le salarié cadre prétend en effet pouvoir bénéficier de cet avantage catégoriel octroyé aux seuls cadres dirigeants en invoquant le principe d’égalité de traitement. Pour lui, cette indemnité conventionnelle de licenciement plus avantageuse créé une différence de traitement entre tous les cadres placés dans une situation identique au regard du dit avantage.

Qu’est-ce qu’un avantage catégoriel ? Un avantage catégoriel correspond à celui accordé à certains salariés en tenant compte de la catégorie professionnelle à laquelle ils appartiennent (ouvrier, agent de maitrise, technicien, employé, cadre, etc.). Une convention ou un accord collectif peut ainsi prévoir que soit attribué un avantage catégoriel comme des congés supplémentaires ou une indemnité de licenciement plus favorable à des salariés en tenant compte de la catégorie professionnelle à laquelle ils appartiennent.
Dans tous les cas, deux principes fondamentaux doivent être respectés au sein de l’entreprise :
- Le principe : « A travail égal, salaire égal » et ;
- Le principe de l’égalité de traitement entre les salariés placés dans une situation identique au regard du dit avantage.

  • La justification de la différence de traitement

Dans cette affaire, la cour d’appel estimait que la spécificité de la situation de la catégorie des cadres dirigeants était leur plus grande exposition au risque de licenciement. La situation des cadres dirigeants témoignait en effet une plus grande vulnérabilité face au licenciement car ils étaient soumis aux aléas de l’évolution de la politique de la direction générale. La prise en compte de cette situation justifiait dès lors que les cadres dirigeants puissent bénéficier d’une indemnité conventionnelle de licenciement plus favorable.

Il n’en reste pas moins que le salarié lésé contesta la décision de cour d’appel en arguant du fait que les juges n’avaient pas montré l’existence d’une situation différente entre les cadres dirigeants et les autres cadres justifiant l’avantage octroyé aux seuls cadres dirigeants.

Saisie d’un pourvoi, la Cour de cassation rejette les arguments du salarié et confirme la décision des juges du fond. Pour la Cour de cassation, dans le cas présent, la différence de traitement opérée par la convention collective en tenant compte de la catégorie professionnelle pour calculer l’indemnité de licenciement « a pour objet ou pour but de prendre en compte les spécificités de la situation des cadres dirigeants tenant notamment aux conditions d’exercice de leurs fonctions et à l’évolution de leur carrière ». Cette différence de traitement est par conséquent justifiée.

Cet arrêt s’inscrit dans la lignée de la jurisprudence de la Cour de cassation, mais semble être le premier à valider la justification d’une différence de traitement entre des cadres dirigeants et des cadres. Cette différence de traitement n’aurait cependant pas forcément été justifiée dans une autre entreprise ou un autre secteur d’activité.

  • Le contrôle par les juges de la pertinence et de la réalité de la différence de traitement

Rappelons que selon les règles posées par la Cour de cassation (1) et appliquées dans cet arrêt, une différence de traitement  doit être justifiée par des raisons objectives dont il revient au juge de contrôler la réalité et la pertinence. Deux éléments importants ressortent :

- Le seul fait d'appartenir à la catégorie des cadres (et en l’espèce, cadre dirigeant) ne justifie en aucune manière l’octroi d’un avantage catégoriel.

- La différence de traitement doit avoir pour objet ou pour but de prendre en compte les spécificités de la situation des salariés relevant d'une catégorie déterminée. Ces spécificités peuvent notamment tenir compte des conditions d'exercice des fonctions, de l'évolution de carrière ou des modalités de rémunération.

De cette manière, aujourd’hui, même si la convention collective ne contient aucune justification concernant la différence de traitement qu’elle entend mettre en œuvre entre cadres et cadres dirigeants ou bien cadres et non cadres pour attribuer un avantage catégoriel, c'est aux juges du fond de réaliser cette recherche (2). 

Avec ce dispositif de justification posé par la Cour de cassation, il serait peut-être conseillé pour les prochaines révisions et négociations de conventions collectives de justifier davantage la différence de traitement.


(1) Cass. Soc. 01.09.09, n°07-42.675 et Cass. Soc. 8.06.11, n° 10-11.933 et n° 10-13.663.
(2) Cass. Soc. 28.03.12, n° 11-12.043.