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L’enjeu des salaires allemands dans la zone euro

Publié le 17/09/2014

Le Parlement allemand a voté cet été la mise en place d’un salaire minimum. Près de 4 millions de travailleurs précaires vont en bénéficier à partir du 1er janvier 2015. Alors que la loi prévoit de nombreuses dérogations, la Confédération allemande des syndicats (le DGB) réclame la suppression des catégories de salariés exclues du salaire minimum. D’une manière générale, l’augmentation des salaires en Allemagne est un enjeu pour toute la zone euro menacée de déflation.

Le salaire minimum allemand a enfin été adopté par le Bundestag (chambre basse du Parlement) le 3 juillet dernier. D’un montant de 8,50 euros brut de l’heure (en France, il est de 9,53 euros), il sera instauré le 1er janvier 2015 et concernera 3,7 millions de salariés. C’est une avancée majeure dans un pays où 22 % des travailleurs sont pauvres, c’est-à-dire qu’ils touchent une rémunération égale ou inférieure aux deux tiers du salaire horaire médian. L’Allemagne fait vraiment figure de très mauvais élève, puisque le pourcentage de personnes insuffisamment payées est de 14,8% pour l’ensemble de la zone Euro. Il est de 6,2% en France.

La loi que vient de voter le Parlement allemand ne résout pas le problème pour tous les travailleurs pauvres. Les salariés âgés de moins de 18 ans, les chômeurs de longue durée (depuis plus d’un an), les personnes en formation, les stagiaires, les apprentis, les distributeurs de journaux, les saisonniers agricoles et de l’hôtellerie ne bénéficieront pas du salaire minimum ou en seront exclus pendant un certain temps.

Pour le DGB, la mise en place d’un salaire minimum est un énorme pas enfin franchi, mais ces exceptions, qui touchent près de 3 millions de personnes, restent inacceptables. « Comment les chômeurs de longue durée, qui ont besoin de développer leurs compétences et d’augmenter leur niveau de qualification, vont-ils pouvoir le faire s’ils doivent attendre six mois après avoir retrouvé un emploi pour avoir le droit de toucher le salaire minimum ? », pointe Friederike Posselt du service économie, finances et politique fiscale au DGB où elle a été responsable pendant plusieurs années de la campagne « Pour un salaire minimum en Allemagne ». « Nous allons continuer à revendiquer l’abolition de toutes les exceptions. Nous réclamons aussi que le nombre d’inspecteurs du travail chargés de contrôler la conformité avec la loi sur le salaire minimum soit augmenté », affirme Friederike Posselt, soulignant que « le nombre d’inspecteurs du travail est insuffisant dans les secteurs comme la construction où il existe déjà un salaire minimum. Cela semble impossible de former de nouveaux inspecteurs aussi rapidement. »

La loi plutôt que la négociation

Seulement une dizaine de secteurs couverts par des accords collectifs de branches ou de régions disposaient jusqu’alors d’un salaire minimum, en général supérieur à 8,50 euros. Fait nouveau dans l’histoire du syndicalisme allemand, la loi a permis l’extension de ces conventions collectives. « C’est un signe d’affaiblissement des organisations syndicales, puisque l’Etat intervient dans la négociation sociale », fait remarquer Guillaume Duval, auteur du livre Made in Germany : Le modèle allemand au-delà des mythes (2013).  Mais le rédacteur en chef d’Alternatives économiques note aussi que ce salaire minimum, même s’il est relativement bas, produit des effets positifs avant même sa mise en place : « les personnes touchant de bas salaires et qui ne sont pas couvertes par des conventions collectives réclament d’ores et déjà que leur rémunération se rapproche du salaire minimum ». Selon une étude de l’Institut de recherches conjoncturelles IMK (Institut für Makroökonomie und Konjunkturforschung), la mise en place du salaire minimum va non seulement relancer la consommation et la production, mais va entraîner une augmentation des salaires d’une manière générale en Allemagne.

Une hausse plus importante des salaires 

Le nombre de travailleurs couverts par des accords collectifs diminue depuis les réformes Schröder. Ils sont aujourd’hui 19 millions, soit 59% de la main d’œuvre, contre 70% des salariés en 1998. Selon des données de l’Office fédéral de la statistique publiées fin août, leurs salaires auraient particulièrement progressé au deuxième trimestre 2014. Mais cette hausse pourrait être relative en données réelles. Plusieurs voix se sont élevées cet été pour appeler à une augmentation plus importante des salaires : l’ancien commissaire européen à l’Emploi Lázló Andor a ainsi plaidé pour qu’ils progressent au moins au rythme des gains de productivité. Et même le président de la Bundesbank Jens Weidmann, plutôt partisan de la modération salariale, a salué les hausses obtenues récemment par les organisations syndicales dans certains secteurs, notamment l’industrie. « Bien sûr, les salaires doivent augmenter en même temps que la productivité et l’inflation. Nous avons déjà obtenu des hausses dans certains secteurs et d’autres vont entrer en négociation. Nous estimons que ces négociations relèvent uniquement des partenaires sociaux », fait remarquer Friederike Posselt. « Cela nous regarde ! » répond en substance le DGB, qui entend bien résister à ce qu’il estime être une ingérence de la part des acteurs institutionnels, même s’ils sont favorables à la hausse des rémunérations.

nfigarol@cfdt.fr