“En France, on ne parle d’Europe qu’au moment des élections ou lorsqu’il y a une crise. Cela ne suffit pas !” abonné

Le Brexit et ses conséquences, mais également le socle européen des droits sociaux ou encore la montée des populismes en Europe.
A un mois et demi des élections européennes, Michel Barnier, le négociateur en chef de l'Union européenne sur le Brexit, n'élude aucun sujet dans un entretien exclusif pour Syndicalisme Hebdo et CFDT Magazine.

Par Jérôme Citron— Publié le 12/04/2019 à 15h20

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Comment résumer le Brexit ?

Le Brexit, c’est le départ pour la première fois d’un pays de l’Union européenne, mais c’est aussi la preuve que l’Europe n’est pas une prison, qu’on peut la quitter. Le Brexit est un évènement grave car il provoque une multitude de conséquences humaines, sociales, économiques, budgétaires, financières, techniques, juridiques. Évidemment, le Brexit n’est pas la fin de l’histoire entre ce grand pays qu’est le Royaume-Uni et l’Union européenne.

Comment résumer ce qui s’est passé ces dernières années, difficile à comprendre pour les non-spécialistes ?

Une fois que les Britanniques ont pris la décision de quitter l’Union, nous avons choisi de traiter avec eux les choses dans l’ordre. D’abord, prendre acte et organiser le divorce de manière ordonnée. C’est beaucoup mieux que de se quitter de manière brutale, ce que l’on appelle en anglais le « hard Brexit » ou le « no deal ». 

En quittant l’Union européenne, les Britanniques quittent près de 700 accords.Voilà pourquoi les problèmes sont innombrables


Dans un premier traité de 600 pages, nous avons apporté, avec le gouvernement britannique, les réponses juridiques. Nous avons remis de la certitude là où le Brexit, comme toute séparation, crée de l’incertitude. C’est un document qui solde le passé. Les questions sont innombrables. Il y a par exemple 3,5 millions de citoyens européens qui vivent au Royaume-Uni et 1,5 million de citoyens britanniques qui vivent en Europe. Ces citoyens ont des droits, notamment en matière de protection sociale. Et c’est d’ailleurs quand on risque de les perdre que l’on mesure leur importance. Nous avons trouvé un accord pour sécuriser à vie ces droits acquis dans le passé et ceux qui seront acquis jusqu’à fin décembre 2020. Il y a eu aussi de longues négociations pour sécuriser le financement des budgets européens. En Europe, nous avons des budgets établis sur sept ans (2014-2020). Les Britanniques contribuent à hauteur de 12 à 14 % de l’ensemble. Donc, tout ce qu’on a discuté à 28 en début de cette période doit être financé à 28 jusqu’au bout. Nous parlons là de la politique agricole commune, du fonds social, des programmes de coopérations universitaires, du programme Erasmus…

En quittant l’Union européenne, les Britanniques quittent près de 700 accords internationaux. Les accords commerciaux, les accords de pêche, l’accord ciel unique… Voilà pourquoi les problèmes sont innombrables. Nous avons aussi trouvé des réponses à des problèmes territoriaux graves comme la question de l’Irlande où ce qui est en jeu c’est le maintien de la paix et de la stabilité sur l’île après un long conflit.

C’est ce document, approuvé par le gouvernement, qui est en discussion au Parlement britannique depuis maintenant quatre mois. Son adoption, c’est la condition pour ouvrir en confiance la deuxième grande étape qui sera bien plus importante et bien plus intéressante que le Brexit lui-même : la construction d’une nouvelle relation entre le Royaume-Uni et l’Union.

Europe drapeauDe nouvelles négociations vont donc avoir lieu même si les parlementaires britanniques adoptent ce traité ?

Le Royaume-Uni reste un grand pays, un voisin, un partenaire économique, un ami, un allié. Mais puisque les Britanniques quittent l’Union, nous détricotons quarante-quatre années de relations que nous devons retisser sur de nouvelles bases juridiques et financières. Cela fera l’objet d’une nouvelle négociation que nous sommes impatients de commencer. Voilà pourquoi nous attendons le vote du Parlement britannique sur cet accord de retrait, parce qu’il ouvre la voie à une deuxième négociation qui va durer entre vingt et un mois et quatre ans, le temps de la transition. Une période où ils ne seront plus dans l’Union, mais ils resteront dans le marché unique et l’Union douanière.

Le Brexit a révélé un divorce entre L’Union européenne et les classes populaires britanniques. C’est un phénomène que l’on retrouve également en France. Comment l’analysez-vous ?

C’est un point qui m’intéresse beaucoup comme citoyen et comme homme politique. Il y a les conséquences du Brexit que nous avons gérées dans cette négociation. Elles sont innombrables. Nous les avons abordées de manière objective, sérieuse et calme, en préservant l’unité des 27 et sans aucune agressivité à l’égard du Royaume-Uni car je n’ai jamais travaillé avec l’esprit de revanche. Mais c’est une négociation négative. Elle n’a aucune valeur ajoutée. C’est un accord « lose, lose ». Nous n’avons qu’essayé de limiter les conséquences et d’organiser le divorce.

Il ne faut pas confondre ce sentiment populaire, souvent justifié, avec le populisme. Le populisme exploite le sentiment populaire.


À côté des conséquences, il y a des leçons du Brexit. Pourquoi 52 % des Britanniques, notamment dans des régions qui ont de grandes difficultés économiques, beaucoup de chômage, une industrie qui disparait, ont voté contre l’Europe ? Il y a des raisons spécifiquement britanniques. L’espoir ou la nostalgie de la « global Britain ». Il y a aussi des acteurs des marchés financiers, parfois des spéculateurs, qui n’aiment pas beaucoup les règles européennes. Mais il y a, en profondeur, une colère sociale et territoriale qui s’est exprimée et que l’on retrouve dans beaucoup de régions en Europe. On l’observe avec les gilets jaunes ou dans le vote pour les extrêmes dans beaucoup de régions en France, aux Pays-Bas, en Belgique ou en Italie. C’est un sentiment qui exprime la peur ou la réalité d’être exclu, d’être laissé pour compte, de ne pas être protégé, de ne pas avoir d’avenir...  Moi je recommande d’écouter, de comprendre et de répondre à cette colère par des politiques nouvelles au niveau européen, au niveau national, au niveau régional et au niveau local. Il ne faut pas confondre ce sentiment populaire, souvent justifié, avec le populisme. Le populisme exploite le sentiment populaire.

La décision des Anglais a déjà trois ans. On n’a pas le sentiment d’avoir eu cette réponse de l’Europe ?

Vous vous trompez. Il y a eu des premières réponses. Dans l’agenda social, on peut évoquer la directive détachement des travailleurs et dans l’agenda commercial, l’Europe a compris qu’elle devait être ouverte mais pas offerte, qu’elle devait être moins naïve dans ses relations extérieures. On peut également évoquer les investissements en matière de formation ou les 10 000 garde-côtes et garde-frontières supplémentaires. Il y a eu des inflexions et je pense qu’il faut aller plus loin.

Qu’attendez-vous du socle européen des droits sociaux ?

Au début, il y a un combat que mène la CFDT avec les autres forces syndicales européennes qui s’appelle le dialogue social.

Le socle européen des droits sociaux, c’est la base et c’est l’une des dimensions fondamentales du marché commun.


Je pense, et ça a été ma ligne de conduite lorsque j’étais commissaire au marché intérieur, que la cohésion sociale est la clé de la compétitivité de la société et des entreprises. Et cette cohésion sociale ne tombe pas du ciel. Elle se bâtit dans chaque entreprise, dans chaque pays et au niveau européen par le dialogue social.

Le socle européen des droits sociaux, c’est la base et c’est l’une des dimensions fondamentales du marché commun. Le marché unique, ce n’est pas simplement un grand marché. En quittant le marché unique, les Britanniques ne quittent pas une zone de libre-échange. Ils quittent un écosystème de droits, de normes, de standards, de régulations communes pour les marchés financiers, de certifications communes pour les produits, de supervisions communes pour les banques et, au-dessus de tout, une juridiction commune – la Cour de justice –, qui protège et garantit l’ensemble. Les salariés et les consommateurs européens ont des droits.

Le pilier social est quand même faible par rapport au pilier économique ?

Je pense que ce pilier doit être consolidé dès l’instant où les gouvernements le veulent. S’il a été laissé de côté dans le passé ou s’il…

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